Voici un menu hors du commun tiré du livre de Dan Barber, The Third Plate: Field Notes on the Future of Food
Mise-en-bouche
Thé à l’avoine laiteux et ses quenouilles>
Premier service
Brioche au blé entier bleu et beurre en direct du pis de la vache
Deuxième service
Risotto à la rotation de grains et sa courge 898
Troisième service
Médaillon de crossabaw (le fruit de l’union d’un sanglier et d’une truie !) grillé au charbon d’os de porc et boudin sauvage
Quatrième service
Truite et son phyloplankton
Cinquième service
Steak de panais dans sa sauce de boeuf nourri aux graminés
Dessert
Pouding au riz et crème glacée de bière
Intrigant, non ? S’il n’en était que de Dan Barber (chef et co-propriétaire des restaurants Blue Hill in Manhattan et Blue Hill at Stone Barns), voilà le genre de menus que l’on retrouvera en 2050, une fois appliqués les principes évoqués dans son incontournable The Third Plate: Field Notes on the Future of Food
Cette oeuvre pharaonique représente le fruit d’années de labeur, de réflexions, de recherches et de rencontres de la part de Barber. Au coeur de son questionnement ? La façon dont on se nourrit, et de ce fait, l’impact — le cercle vicieux devrais-je dire — sur la production de nos aliments.
On est ce que l’on mange ? Oh que oui ! Et c’est bien malheureux. Du blé à l’ADN modifié afin qu’il génère le plus de rendement possible, mais le moins de goût possible. Un sol vidé de ses nutriments par la monoculturelle industrielle. Du bétail amorphe nourrit aux hormones, des poissons d’élevage qui polluent leur environnement.
La croissance de la population nord-américaine liée à la vaste place qu’il laisse à la viande dans son assiette a créé un déséquilibre dans la chaine alimentaire. La nature, la terre et les terres, les lacs et les océans, le bétail, les légumes, les grains, les fruits, plus rien ne va.
The Third Plate: à la quête d’un monde meilleur… et d’une meilleure assiette !
Alors méthodiquement (ça se lit comme une enquête de fond), Barber se questionne sur l’état (et l’importance) du sol. Des terres agricoles. De la mer et des poissons. Et même de la disparition de semis ancestraux.
Heureusement y a l’organique, vous dites-vous ? Mais vous faites erreur. La monoculture organique amène son propre lot de problèmes. Là aussi, on vide le sol de ses nutriments.
Côté terre
Ce qui est intéressant dans la quête de chef Barber, c’est qu’il part du principe que les aliments ne goûtent plus. Ou plutôt, il découvre ce fait au gré de ses rencontres avec des êtres fabuleux.
Des êtres tels que Rodrigo Cáreno qui produit le fameux jambon ibérique en élevant ses porcs en les laissant parcourir la dehasa, où ils trouveront à se nourrir d’herbes, de châtaignes et autres verdures dont ils sont friands. Ils bougent, ils se font donc de beaux muscles. Et leurs excréments nourrissent le sol, ce qui permet aux herbes et arbres de briller de leurs feux.
C’est ce modèle qui a inspiré Eduardo Sousa à procéder de même avec ses oies, en vue d’en faire un foie gras plus humain, car celles-ci se « gavent » d’elles-mêmes de châtaigne et autres herbes en vue d’une migration. De fait, ces oies sont si bien que des oies sauvages viennent les rejoindre. Et y restent ! À preuve, voyez cette vidéo ici.
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Côté mer
Côté océan, on y rencontre Ángel León, un chef solitaire qui rend un hommage constant à la mer en cuisinant les poissons et crevettes dont personne ne veut qui se retrouvent dans le filet et casier des pêcheurs du village. Il cuisine même avec du phyloplankton !
On fait également connaissance avec le biologiste Miguel Medialdea (drôle de hasard, non ? Seulement des Espagnols !). Celui-ci a créé Veta la Palma, une ferme d’élevage de bars. Sa particularité ? Ses bars vivent dans des canaux dont les eaux viennent de la mer ; un écosystème où d’autres variétés de poissons et de crevettes en garantissent l’intégrité. Même les oiseaux migratoires qui avaient délaissé la région sont de retour.
Sur le plancher des vaches
On apprendra que des vaches qui se nourrissaient d’herbes sur le bord du chemin (le fermier n’ayant pas d’argent pour avoir un champ où les faire paître) produisaient plus d’un lait qui goûtait meilleur. De brebis gambadant dans des prés au goût différent selon l’endroit où elles se nourrissaient.
On lira avec passion les questionnements de Klaas et Mary-Howell Martens, des fermiers atypiques qui se sont questionnés sur l’importance d’assurer une rotation des plants en vue de régénérer le terreau en apprenant des plantes elles-mêmes ce dont elles ont besoin.
Et on redécouvrira des grains ancestraux qui permettent de produire des pains autrement plus goûteux (mais malheureusement plus coûteux) que les trucs moches qu’on nous vend. Le défi ? Convaincre les boulangers de les utiliser afin de convaincre les meuniers de moudre ces grains pour convaincre les cultivateurs de les planter afin de convaincre les développeurs de semis d’en faire la production.
Le dégoût de l’uniformisation des goûts
Mais comme ces grains sont différents et que leur goût peut varier d’une saison à l’autre, voire d’un champ à l’autre, les boulangers en ont peur. Car la production de masse implique une macdonaldisation du pain ; il doit être pareil, goûter pareil.
Bref, un immense cercle vicieux au coeur duquel on se retrouve nous.
Mais ne vous méprenez pas. The Third Plate n’est aucunement pessimiste. Au contraire. Son livre est une prise de conscience 101 qui nous force à nous questionner sur ce que l’on veut être. Comme société. Comme communauté. Comme individu. Et comme chef. Car les demandes d’un chef impactent elles aussi ce qui est produit. Ou ne l’est pas.
Est-ce au chef à décider ce qu’il veut du producteur ? Ou bien n’est-ce pas plutôt à la nature de lui montrer tout ce qu’elle peut produire de bon sur cette terre ? Et à cuisiner judicieusement avec l’ensemble de ses délicieux produits.
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